lundi 9 mars 2009

Sommes-nous en train de vivre une rupture du type de celle qui marqua la fin de l'Ancien Régime ?

Tout d'abord, je me risquerais à la superstition: lorsque l’on se penche sur l’histoire, cette très vieille et capricieuse dame, on remarque de nombreux points d’inflexion, des ruptures dans la continuité sinueuse de son cours ; 1789 – la rupture avec l'Ancien Régime -,1830, 1848, 1870, 1929, 1939, 1968, 1989, et enfin cette année 2009 où tant d’incertitudes agitent les plus grands de ce monde en éclairant l’esprit des plus faibles. Cette série réalisée par emprunts dans le temps de l’histoire peut paraître, à celui qui méconnaît ses racines communes, une vulgaire énumération de dates plus ou moins équivoques. Quel lien entre elles ?

Mais l’esprit humain qui aussitôt brûle d’intérêt dès qu’une loi magique apparaît à ses yeux, ne laissera pas de remarquer les troublantes coïncidences qui saisissent chacun de nous à la lecture de cette suite. Elles évoquent toutes un point d’inflexion important que subit le temps long de l’histoire si cher à Fernand Braudel et qui se déploie dans sa Méditerranée éternelle: ces moments où le cours massif de l’histoire a tendance à déborder de son lit, les historiens les qualifient de ruptures, de césures, donnant l’air de le dévier alors qu’ils l’enrichissent par les limons arrachés à leur milieu naturel. Au reste, aucune loi ne peut venir valider cette série artificielle si ce n’est l’aspect chronologique, et c’est là que l’esprit humain rencontre une limite. Lui qui chérit tant la logique des choses, les lois de la nature, il lui est d’autant plus troublant de la sentir apparaître au moment où celle-ci se dérobe. Rien de plus frustrant que la sensation produite par une anguille filant entre les doigts.
Cela permet toutefois de comprendre un point essentiel qui évacue la superstition: nul n’est besoin de trouver une formule magique qui caresse l’esprit, l’essentiel est de comprendre ce que signifient ces exemples passés remontés à la surface de notre temps présent. Ils engagent l’homme à avancer l’esprit clair grâce à ses regards par-delà l’épaule qui éclairent le chemin parcouru tout en l’assurant dans sa pénible progression.
C’est ce pivot à 180 degrés sur l’axe fictif du temps qui seul donne à l’homme la maîtrise de sa progression. Par maîtrise il faut entendre clairvoyance et non tentative de retour en arrière, comme s’il était possible une fois le soubresaut apparu de faire comme s’il n’y en avait jamais eu. Grave erreur que de ne pas vouloir comprendre l’histoire lorsqu’elle se cabre. C’est l’erreur de ceux qui ont oublié l’importance de ne pas perdre de vue le chemin parcouru par cette réunion bigarrée de tous nos ancêtres, constitutifs du passé commun et dont nous sommes les dépositaires.
La rupture historique que vit le monde actuel et dont on veut absolument signifier qu’elle n’en est pas une, grâce aux sons d’une litanie apaisante, ne doit pas être négligée. Ce sentiment de l’homme qui voit s’effondrer son monde, parce qu'humain, est compréhensible ; mais au regard de l’histoire il est inexcusable car il procède d’un refus de compréhension.

Ces élites qui s’agitent fébrilement sur la scène du monde, se rencontrant, communiquant, rivées sur le cœur de la Bourse comme sur celui d’un agonisant, n’est pas fait pour rassurer. Ces élites fâchées avec les leçons du passé, mais qui néanmoins utilisent tous les moyens – essentiellement publics - pour maintenir le leur, refusent d’observer les causalités de la rupture. Par leur volonté bornée, leur orgueil insensé et leur folle inconscience, elles s’engagent à comparaître devant le tribunal de l’histoire le jour où elles seront convoquées par la mémoire collective. Il faut souhaiter que leur tragique éblouissement serve la conscience de ceux qui se pencheront sur elles, qui voulaient un monde qu'elles ont fini par perdre. C’est alors, et alors seulement, que l’homme se réconciliera avec son histoire.

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