[...] Un homme qui travaille consciencieusement à mettre l'histoire de son pays entre les mains de tout le monde, à la rendre populaire par l'intérêt de la composition secondaire, à inspirer le goût des études historiques par l'attrait des livres qui satisferont, avant tout, au besoin renaissant qu'a créé la civilisation actuelle, de nourrir l'esprit comme on nourrit le corps, un homme qui essaye de servir cette faim des mets plus substantiels, qui tente de préserver à ces imaginations lassées du mauvais, des tableaux de genre où l'histoire nationale soit peinte dans les faits ignorés de nos mœurs et de nos usages, de rendre sensibles et familiers à toutes les intelligences les contrecoups que ressentaient les populations entières des discordes royales, des débats de la féodalité, ou des vengeances populaires ; d'offrir les résultats d'institutions de lois érigées au profit d'intérêts particuliers, de besoins éphémères ou des systèmes royal et féodal aux prises, un homme qui tâche de configurer les rois par les peuples, les peuples par certaines figures plus fortement empreintes de leur esprit ; de dessiner les immenses détails de la vie des siècles, de donner une idée des oscillations produites par le fanatisme des religions amplifiées, de ne plus faire enfin, de l'histoire un charnier, une gazette, un état civil de la nation, un squelette chronologique, cet homme-là, doit marcher longtemps, sans s'embarrasser des criailleries, jusqu'à ce qu'il ait été compris, il lâchera prise en reconnaissant, à la voix de quelques amis fidèles, que la tâche est au-dessus de ses forces ; et s'il a eu le courage d'entreprendre, il aura celui de sentir qu'une idée grande, et une volonté puissante, ne donnent pas toujours le talent de l'exécution.
L'histoire tragi-comique entreprise par lui, est assez vaste pour imposer le respect, assez noble dans son but pour n'être pas injuriée. Elle a des enseignements aussi majestueux, moins ennuyeux, plus pénétrants peut-être que ceux de la Clio classique et son œuvre a droit à l'estime publique tout autant que celles de ces courageux jeunes gens qui s'en vont à travers mille écueils étudier l'esprit des époques les plus sombres de notre histoire, essayant de retrouver la vérité cachée par le sacerdoce, mutilée par l'aristocratie, frayant ainsi la route à ceux qui, avec une imagination plus hardie viennent sculpter et décorer le monument dont ils ont posé les premières pierres. [...]
Honoré de Balzac, Avertissement du Gars, manuscrit, 1828.